Première rentrée sans manuels scolaires en Île-de-France : la Région nie la réalité
Première rentrée sans manuels scolaires : réponse aux contre-vérités de la Région Île-de-France. Alors qu’elle vante ses “manuels libres”, les lycéens franciliens sont privés de vrais manuels scolaires, faute de financements.
SOMMAIRE
Une rentrée sans manuels, malgré les affirmations de la Région
La Région affirme que « les lycées conservent le choix entre papier et numérique ». Une affirmation fausse dans les faits.
Depuis cette rentrée :
- La subvention régionale pour les manuels papier est fixée à zéro, alors même que plusieurs réformes (notamment en langues vivantes) rendent indispensables des manuels actualisés,
- Les exemplaires papier encore présents en classe sont uniquement ceux achetés lors de la précédente réforme, devenus pour beaucoup obsolètes,
- La région ne finance plus, non plus, les manuels numériques structurés tels que nativement proposés par les éditeurs scolaires. À la place, elle impose une plateforme unique, Pearltrees, qui en désagrège les contenus en une multitude de fragments éclatés. Plus de cadre. Plus de vision d’ensemble. Plus de repères… Plus de manuels !
À ce jour, aucune commande n’a été passée par la Région Île-de-France : la plupart des élèves se retrouvent donc sans manuels du tout. À la place, la Région impose une plateforme unique, Pearltrees, qui désagrège les savoirs en fragments éclatés.
Une atteinte frontale à la liberté pédagogique
La Région assure que « ce qui se joue, c’est la résistance d’éditeurs en situation de monopole ». La réalité est exactement inverse : aujourd’hui, Pearltrees détient un monopole instauré par la Région, financé par l’argent public et imposé à tous les lycéens franciliens.
La France compte des dizaines d’éditeurs, qui, depuis des décennies, proposent une diversité d’outils pédagogiques : manuels papier, manuels numériques structurés, ressources complémentaires, collections spécialisées par voie. Cette pluralité éditoriale est précisément ce qui garantit la qualité, l’innovation et la liberté de choix pour les enseignants et les élèves.
La diversité disparaît au profit d’un support, d’un format et d’une plateforme uniques :
- Le tout-numérique,
- Des contenus « granulaires » déstructurés,
- Pearltrees comme passage obligé,
- Des « manuels libres » qui n’en portent que le nom, et qui s’apparentent surtout à de simples « drives » d’enseignants,
- Des contenus régionaux « libres » progressivement imposés par la réduction de 75 % des financements destinés aux éditeurs.
Des données qui contredisent le discours officiel
La Région affirme que « 75 % des licences de manuels numériques achetées aux éditeurs n’ont jamais été ouvertes ». Ces chiffres sont trompeurs et hors contexte.
D’abord, parce qu’ils mesurent l’ouverture de licences centralisées, non l’usage réel en classe. Or, les enseignants utilisent massivement les manuels numériques des éditeurs pour préparer leurs cours, télécharger, imprimer ou projeter les contenus.
Ensuite, parce que les chiffres indépendants disent tout autre chose :
- 84 % des enseignants jugent la décision d’imposer Pearltrees « mauvaise »,
- 74 % estiment que la plateforme « n’est pas adaptée à leurs pratiques »,
- 72 % considèrent qu’elle « n’est pas adaptée à leurs élèves »,
- Pearltrees plafonne à 2,3/10 quand les manuels numériques des éditeurs atteignent 6,7/10 (OpinionWay).
Loin d’un « gaspillage », l’usage des manuels numériques éditeurs est reconnu par les enseignants comme un outil efficace et adapté.
Des programmes en constante évolution
La Région se félicite d’avoir comblé un « manque » en créant un manuel de philosophie en voie professionnelle. Mais cet exemple, à la fois isolé et inexact, masque l’essentiel : les manuels scolaires doivent suivre des programmes en constante évolution. Chaque programme demande pourtant explicitement l’utilisation d’un manuel.
Depuis 2019, les lycées ont connu :
- Une réforme de l’enseignement scientifique et mathématique en première,
- Une réforme des langues (2025),
- Des allègements en SES (2024),
- Des aménagements en mathématiques,
- Un nouveau programme d’EMC dans toutes les voies.
En STMG, les données et cas d’entreprises doivent être actualisés chaque année. En voie professionnelle, 40 diplômes sont réformés chaque année, avec des ajustements liés aux réglementations sociales, environnementales ou techniques (par ex. nouvelles normes en carrosserie auto).
Les éditeurs assurent ces mises à jour indispensables. En supprimant leur financement, la Région prive les élèves d’outils fiables et actualisés.
Une politique qui creuse les inégalités
La Région parle d’« innovation pédagogique » et de manuels « plébiscités ». Les faits démontrent l’inverse.
Au-delà des débats techniques, les conséquences sont lourdes :
- Pédagogiques : surcharge cognitive, perte de repères, baisse de niveau documenté par les chercheurs. Cette pédagogie fragmentée pénalise davantage encore les élèves en difficulté ou à besoins particuliers, qui nécessitent au contraire un cadre structuré et des repères stables,
- Sociales : fracture entre familles équipées et non équipées, entre établissements publics et privés, entre centre-ville et périphérie. Pour beaucoup, le manuel est le premier livre à la maison, parfois le seul,
- Démocratiques : la production et la diffusion des contenus scolaires se concentrent désormais entre les mains d’un opérateur privé unique et d’une collectivité territoriale.
Une telle dérive n’est pas une modernisation : c’est une régression pédagogique, sociale et démocratique.
Pour une articulation intelligente, pas une opposition factice
Notre position ne consiste pas à opposer papier et numérique, manuels et plateformes. Ce que nous dénonçons, c’est la suppression imposée, sans concertation, du manuel structuré, qu’il soit papier ou numérique, au profit d’un format unique, déstructuré et régionalisé. C’est la menace d’une standardisation qui réduit la liberté pédagogique et efface la diversité éditoriale.
Nous ne dénonçons en aucun cas l’existence de plateformes, utiles en tant qu’outils de curation ou de partage permettant aux enseignants de composer leurs propres séquences. Mais un tel usage doit venir en complément d’un manuel structuré, et non en substitution imposée.
La vraie question est celle-ci : faut-il orchestrer une concurrence brutale entre manuels et plateformes, ou chercher à les articuler intelligemment, en laissant aux enseignants la liberté de choisir l’outil adapté à leur pédagogie ?
C’est cette articulation, fondée sur la complémentarité et l’interopérabilité, qui garantit la qualité des apprentissages et le respect de la liberté pédagogique.